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universalité du féminisme : notes de lecture Romain Testoris

Cerveau Sexe et Pouvoir

Catherine Vidal, Dorothée Benoit-Browaevs 2005 Belin

samedi 12 juillet 2008

Les deux auteures posent d’emblée la question : "y a t il dans le cerveau des structures ou des organisations particulières. propres à chaque sexe ?". Elles précisent : "Nous nous intéressons ici essentiellement aux recherches sur la biologie du cerveau. leurs portées. leurs limites et leur évolution au cours du 19e et du 20e siècles."

Au 19e siècle. tout est simple : le petit cerveau des femmes explique leur "infériorité intellectuelle". Paul Broca qui a passé sa vie à peser des cerveaux. a trouvé que le cerveau des hommes pesait 181 grammes de plus que celui des femmes !

Hé1as, au 20 e siècle, tout se complique avec les examens par IRM. Ils révèlent que les différences entre le cerveau des femmes et celui des hommes ne sont pas flagrantes, pas davantage, par exemple que les différences entre le cerveau d’un violoniste, celui d’un sportif ou d’un matheux. "On observe tellement de variabilité entre les individus d’un même sexe qu’elle l’emporte le plus souvent sur la variabilité entre hommes et femmes ... les circuits neuronaux sont essentiellement construits au gré de notre histoire personnelle. Hommes et femmes peuvent montrer des spécificités de fonctionnement cérébral mais cela ne veut pas dire que ces différences sont présentes dans le cerveau dès la naissance. et qu’elles y resteront." Aucune étude sérieuse n’a pu mettre à jour de corrélation entre le poids du cerveau et les capacités intellectuelles.

L’enjeu est clairement idéologique. Si les différences sont naturelles et non construites socialement, l’égalité devient inaccessible. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises la science a été détournée pour justifier les inégalités entre hommes et femmes ou entre groupes sociaux.

La théorie des deux cerveaux, qui eut son heure de gloire, et selon la quelle chaque hémisphère serait spécialisé, le droit pour les émotions et l’espace, le gauche pour le langage et la pensée, a été sollicitée pour justifier la domination masculine. Elle a été réduite a rien par les études actuelles. A la lumière de ces études, il apparaît que les deux hémisphères ont même poids et même volume chez les hommes et les femmes. qu’aucun ne fonctionne isolément, que les fonctions du cerveau sont assurées par plusieurs centres liés aux deux hémisphères, qu’ hommes et femmes utilisent les deux hémisphères pour le langage, qu’il n’y a pas de différence de corps calleux (qui pour certains, au 19e siècle, était plus large chez les femmes, et pour d’autres chez les hommes).

Il n’y a aucun déterminisme de sexe sur le cerveau. "C’est avant tout l’expérience individuelle qui oriente les stratégies cognitives et pas le sexe." Le fonctionnement du cerveau évolue en permanence "en fonction des événements vécus par l’individu". C’est parce que jusqu’à ce jour les garçons et les filles ont été éduqués différemment qu’ils élaborent des stratégies cérébrales différents. Les garçons, initiés aux jeux collectifs, se repèrent mieux que les filles dans l’espace, les filles élevées à la maison au milieu des poupées maîtrisent mieux et plus tôt le langage.

Les auteures insistent alors sur la notion de "plasticité cérébrale". "Pour atteindre les mêmes performances chaque individu a sa propre façon d’activer son cerveau. Rien n’est joué d’avance. 90% des synapses se mettent en place jusqu’à 20 ans : dans ce laps de temps l’expérience personnelle est déterminante. Ainsi le quotient intellectuel des enfants adoptés dans un milieu favorisé sera supérieur au quotient intellectuel des enfants adoptés dans des milieux défavorisés. Ainsi se produisent des compensations cérébrales après des lésions hémorragiques. La formation et l’élimination des synapses sont permanentes chez tous les individus.

Y a-t-il un sexe du cerveau ? Oui et non.

Oui, si l’on considère le circuit de neurones "qui s’activent périodiquement pour déclencher l’ovulation". Mais "avec l’évolution des espèces des plus anciennes aux plus récentes, le cerveau échappe graduellement à la loi des hormones pour guider les comportements sexuels’’. L’espèce humaine est la seule où reproduction et sexualité sont dissociées. Nous échappons au diktat des hormones "grâce au développement du cortex cérébral". Contrairement à l’opinion complaisamment colportée par les moyens d’information, les hormones ne sont pas prépondérantes.

Non, il n’y a pas de sexe du cerveau du point de vue cognitif. Il n’ y a aucune corrélation entre les hormones et les performances cognitives.

Ici les auteures abordent ce qu’elles appellent le "déterminisme biologique" qui s’exprime dans la sociobiologie , et qui s’efforce d’expliquer chaque conduite humaine par une base biologique. La domination masculine serait alors non pas un fait d’histoire mais le fruit de la sélection naturelle. Le cerveau des hommes et celui des femmes auraient divergé pendant l’évolution et seraient aujourd’hui différents. Cette idéologie a pour but de faire oublier que "les rapports entre les sexes … sont avant tout des faits de culture. Il n’y a pas grand chose de cérébral ou d’hormonal dans tout cela. Et surtout pas de loi immuable."

Elles abordent que1ques "études" mises en avant par les partisans du déterminisme biologique, qu’elles qualifient d’abusives et douteuses, et qui sont de véritab1es escroqueries intellectuelles. On saura tout sur "le gène de la fidélité" (page 66). "la chimie de l’intelligence" (p 67), "la molécule du suicide"(page 69)et « l’homosexualité aux bout des doigts » (page 70). Cette dernière "étude" prétend étab1ir un signe distinctif de l’ homosexualité dans la longueur des doigts de la main ! D’autres prétendent localiser dans le cerveau le siège des jugements moraux !

Ce qu’il y a d’inquiétant derrière ces "études" qui ont des airs de canular, c’est qu’elles révèlent une offensive idéologique qui prétend donner une explication biologique générale à tous les phénomènes humains et sociaux. en effaçant les facteurs socio-culturels. Tout s’expliquerait par le cerveau : l’immaturité des jeunes, la passion, la foi, l’intelligence, bien sûr … Dans le dernier chapitre : "Vers une neurosociété ?" ; elles détaillent cette offensive qui constitue, affirment-elles, une menace pour la démocratie. En prenant l’exemple de Doreen Kimura, psychologue canadienne qui prétend démontrer que les différences cérébrales sont déterminées pendant la vie fœtale, elles montrent le sens idéologique de l’entreprise. Doreen Kimura est membre du Freedom Party, parti ultra-libéral, qui s’ oppose aux programmes d’aide sociale. conteste le rôle de l’ Eta t dans la gestion des affaires sociales, défend des enseignements séparés pour les filles et les garçons. On ne peut résumer ce chapitre très riche. On ne. peut qu’évoquer le "dopage humain" pour "affranchir la race humaine de ses contraintes biologiques". le "neuromarketing" qui vise à activer le cerveau du consommateur pour qu’il passe à l’acte d’achat, la "neuroéthiaue" et la neurop6ilosophie" qui devraient permettre de résoudre les questions d’éthique et de philosophie par référence à la biologie !

Voilà un livre pertinent, dense,lisible, d’une argumentation soignée.

Une réserve de détail : peut-être faut-il regretter que les auteures, dans leur légitime souci d’insister sur l’importance cardinale des facteurs sociaux et culturels, s’appuient sur la notion de quotient intellectuel, ainsi que sur les notions de milieu favorisé et défavorisé sans les remettre en question ; le quotient intellectuel est une notion fort discutable et le lien entre la réussite et le "milieu social" n’est pas immédiat mais passe par le parcours biographique des individus.

En élargissant les conclusions des auteures, on pourra affirmer que le combat féministe est doublement universel ; d’abord parce qu’il est un mouvement d’émancipation, spécifique par rapport à l’ anti-capitalisme, porteur d’une revendication d’égalité pour toutes et tous ; mais aussi par ce qu’il constitue contre l’offensive inégalitaire menée sous les espèces de la sociobiologie, une ligne de résistance efficace. Féminisme et démocratie sont indissociables.

Romain Testoris

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